Chroniques : Liste de 1ère selection

Chroniques de la liste de 1ère sélection

 

Serge Bramly
Orchidée fixe
JC Lattès, 2012, 280 pages

Une idée fixe pour une orchidée

Orchidée fixe ou est-ce une idée fixe de Serge Bramley qui lui a coûté une vingtaine d’années pour écrire un roman réunissant les principaux propos de son artiste préféré Marcel Duchamp ? Comment peut-on expliquer cette insistance obstinée qui pousse un écrivain à se détacher du poids lourd du temps pour écrire à tout prix ?Le roman en question, édité chez  J.-C. Lattès et sélectionné parmi les douze finalistes pour le prix Goncourt n’a malheureusement pas occupé l’attention suffisante du jury lors de la dernière sélection. Est-ce à cause de son titre auquel l’on ne peut rien comprendre sans avoir parcouru les 280 pages du roman ou à cause de la longue attente qui occupe ses deux premiers tiers ?
En fait, c’est l’histoire d’un chercheur d’art qui se nomme Tobie Vidal, et dont l’onomastique n’est que l’anagramme de Boîte Vidal, vidal étant un néologisme de l’adjectif vide… Ce chercheur est allé à Tel Aviv chez René Zafrani et sa petite-fille Ninette pour retracer l’histoire du grand artiste Marcel Duchamp, dont peu de nos jours connaissent les œuvres de peinture. Ainsi l’intrigue se tisse-t-elle par le biais d’une mise en abyme où le grand-père raconte l’exil de Marcel à Casablanca alors qu’il était encore jeune adolescent, en 1942.L’histoire en question est racontée en 2012 à la première personne par Ninette, une jeune fille qui vivra une étrange idylle avec le professeur d’art. Ce dernier ne fera qu’effleurer l’esprit ou le génie de l’artiste, sans jamais pouvoir saisir la quintessence de son art, errant sur des pistes déjà fouillées et de fausses pistes.
On  comprend que la longue pause narrative introduisant le roman et amenant le lecteur à s’impatienter au point de vouloir le lâcher, se conjugue avec l’attente de Duchamp d’être reconduit au bord d’un navire aux Etats-Unis. Le peintre a bien vécu dans un désert marocain mais aussi dans un désert artistique. C’est spécialement cette longue attente qui va le pousser à aller chercher au fond de lui et dans les cabarets d’Ain Sebaa une source d’inspiration pour ses toiles qui demeurent jusqu’aujourd’hui même indéchiffrables. Naviguez donc sur Google à la recherche de ces toiles, vous saurez alors quelque peu de quoi parle l’artiste : Nu descendant l’escalier, Boîte en valise, Air de Paris, La Mariée mise à nue par ses célibataires même, etc. Cet hermétisme, on l’aura compris, effarouche les lecteurs contemporains parce qu’ils ont peur de s’engouffrer dans l’incompréhensible et tout ce qui sort du commun et de la logique humaine. Dans ce roman exceptionnel, on signale que Duchamp dédiait ses œuvres à la minorité, tout en faisant allusion à Stendhal avec son happy few et s’enfonce dans les méandres d’une imagination fertile, vivement inspirée par les surréalistes, en l’occurrence, André Breton. Ainsi, dans l’optique de la tentative de meubler la lacune de la muse, l’artiste écrit automatiquement tout ce qui lui traverse l’esprit, même si les associations de mots sont absurdes. Un des produits de l’inconscient de Duchamp est Orchidée fixe qui donne son titre au roman en question. Tout cela est expliqué, dans une sorte de critique de l’art contemporain, où l’histoire principale demeure au bout du compte le pâle décor, placé en  arrière-plan, avec toutes ses actions quasi biographiques et historiques, d’une œuvre grandiose et unique. Voilà l’essentiel qui échappe à la vigilance du lecteur et s’insère dans l’infra mince de l’art, cette petite fissure qui existe sans pour autant avoir existé.

Nada Daou
Département de Langue et Littérature Françaises
Etudiante en  Cycle II – Master
Université Saint-Esprit de Kaslik (LIBAN)




Tierno Monenembo
Le terroriste noir
Seuil, 2012, 224 pages

La Guinée, À votre Service Chère France
" On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu
Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme."

Sur ces deux vers de Léopold Sédar Senghor s’ouvre le roman de Tierno Monénembo, un écrivain d’origine guinéenne, Thierno Sa?do Diallo de son vrai nom, ayant quitté la Guinée fuyant la dictature d’Ahmed Sékou Touré. Marqué par la discrimination et la torture exercées contre les noirs dans le monde, cet écrivain biochimiste de formation défend dans toutes ses œuvres l’impuissance et les difficultés de la vie des Africains à l'étranger. Son dernier roman intitulé Le Terroriste Noir, paru en août 2012 aux Editions Seuil, raconte l’histoire vraie et extraordinaire d’Addi Bâ, une biographie méconnue que l’auteur expose tout au long de ses 225 pages. Le héros guinéen a été adopté en France à l'âge de treize ans et a été incorporé durant la seconde guerre mondiale dans le douzième régiment des tirailleurs sénégalais. Après la bataille de la Meuse, Addi Bâ survit et est accueilli par les villageois de Romaincourt. Le tirailleur crée en 1942 le premier maquis des Vosges avec l'aide de quelques personnes qui voulaient donner un coup de main à la résistance française. L’histoire du terroriste noir, comme le nomme les Allemands, fut racontée soixante ans plus tard par Germaine Tergoresse, femme de quatre-vingt ans qui n’était qu’une adolescente à l’époque et dont les parents ont accueilli Addi Bâ durant son séjour à Romaincourt. C’est grâce à « la Germaine » que Monénembo nous fait entrer dans les détails les plus minimes de la vie du jeune guinéen.
Ce roman a été écrit avec un style simple et charmant, intelligemment bourré de figures rhétoriques et stylistiques embellissant ainsi le récit et offrant à l’histoire cet aspect d’authenticité souvent appréciée par le lecteur. Ajoutons qu’un va-et-vient chaotique attire l’attention du lecteur qui remarque que l’histoire est racontée tantôt au passé par Germaine l’adolescente et tantôt au présent par Germaine la vieille dame qui réalise actuellement ce qu’elle était incapable d’analyser auparavant.
Tout au long de son histoire, Addi Bâ est illustré comme étant un héros : il est le fils, l'ami, l'amant, le résistant, etc. Ce roman est une exaltation des valeurs humaines, il fait l'éloge du partage, de l'amitié, de la loyauté et de la charité vécus dans les ténèbres de la guerre et triomphants malgré les différences des actants. En effet, Addi Bâ, le Guinéen, noir et musulman est venu défendre les Français, blancs à majorité chrétiens.
« Le passé nous tient à la gorge » dit Tierno Monénembo dans son œuvre Crapauds-brousse. Cette citation est applicable au roman Le Terroriste Noirqui revient soixante ans en arrière pour nous raconter l’histoire merveilleuse d’un héros pas comme les autres. En réalité, on a l’impression qu’Addi Bâ est devenu un mythe, il est mis au niveau des dieux et Germaine raconte que sa mort est devenue une référence : « On disait « l’année de l’accident » comme on disait « l’année de la sainte Barthélemy des cochons » […] C’était notre repère, notre année zéro à nous. » (page 36). C’est un personnage qui évidemment est digne de tout respect, il a effectué d’énormes  bouleversements dans la vie des villageois et continue(ra), grâce à Tierno Monénembo, de faire impression.

Héléna DIB
Université Libanaise,
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Section II- Fanar

Gwenaelle Aubry
Partages
Mercure de France, 2012, 181 pages

Partages
Pièce à double face ou miroir fantastique ?

A travers l'objectif de deux caméras, nous assistons simultanément aux événements qui se déroulent en Cisjordanie en 2002, région sainte qui unit et sépare à la fois. C'est l'histoire d'un peuple qui résiste au déracinement et d'un autre peuple qui essaie de retrouver des racines perdues. Chacun d’eux raconte toute sa peine grâce aux récits alternatifs de ces deux adolescentes de 17 ans, Sarah et Leila.  L'adolescence, c'est l'âge de l'espoir, des rêves et de l'amour ; de la révolte, du refus et de la quête de l'identité ; de l'insouciance, des grandes croyances et de l'aveuglement. Cette adolescence symbolise et dévoile l'immaturité des politiques des états.
 Dans Partages de Gwenaëlle Aubry, philosophe et écrivain,  il y a un tissage harmonieux et symétrique des éléments. C'est  l'histoire de Sarah qui, née et élevée à New York, vient d'arriver dans la région et n'arrive pas accepter la violence envers les autres.  Cette jeune juive, d'origine polonaise, a acquis pendant  son enfance des valeurs qui lui font croire à l'égalité entre les hommes et surtout qui la poussent à contester les agressions et la violence.  Enparallèle, c'est l'histoire de Leila, jeune palestinienne qui a toujours vécu dans un camp de réfugié, ce qui ne l'empêche pas d’espérer en un avenir intellectuel lumineux. Elle aime lire, étudier, voyager  et surtout vivre en paix.
Au fils des événements, nous sommes émus de voir dans une écriture poétique, cette même adolescence, clonée dans deux corps, vivant la jeunesse et les espoirs de délivrance. A cette même adolescence sont attribués les mêmes réactions, émotions, sentiments, évolutions et surtout la même confusion au niveau des pensées. Toutes les deux se battent contre les circonstances tout en étant prisonnières de l'héritage collectif de leur communauté. Il y a dans ce roman un effet miroir mais déformé qui refait ressortir les fantômes du passé. Ce sont deux mondes collés qui ne peuvent se retrouver, ils s'observent, ne peuvent se séparer tout en étant infiniment éloignés l'un de l'autre. Partages, c'est pile et face d'une maudite pièce de monnaie transparente qui  roule à travers les ruelles de ces villes qui se déchirent la vie et la mort. Il ne suffit plus de vouloir ou de croire, il y a un moment ou nos deux protagonistes subissent la fatalité du vécu. Quel sera leur choix ? Agir ou se résigner ?  Vont-elles pouvoir se rencontrer ou la séparation restera à jamais ?
     
 Au premier abord le titre, Partages, nous fait penser à un roman à portée sioniste peut-être ou il pourrait être un appel à la réconciliation à travers des traités de paix ! Les conflits auxquels nous assistons quotidiennement à travers les médias et notre appartenance politique et religieuse nous imposent une attente subjective et nous poussent à lire dans le but de s'approprier le roman ou de le rejeter pour assouvir une colère bien refoulée en nous.  Et pourtant, dans Partages il ne s'agit pas de dire que les palestiniens et les israéliens ou en d'autres termes les musulmans et les juifs peuvent vivre ensemble, bien au contraire, aucune solution n'est proposée, les deux parties qui héritent du passé des ancêtres pensent avoir raison et chacun d'eux subit l'horreur de l'autre. Gwenaëlle AUBRY essaie de dire que l'homme c'est l'homme, il souffre, lutte pour sa propre survie en oubliant qu'en face de lui ce sont aussi des hommes qui souffrent, se battent et essaient de survivre.
Partages, un roman philosophique qui nous invite à nous retirer de la scène afin d'observer la réalité de tous ses cotés tout en prenant conscience que les peuples souffrent pour des intérêts qui ne leur appartiennent pas !

Nada JABER
Universite Libanaise
Section V (Liban)
 

 

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